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Ubisoft, le prochain Netflix du jeu vidéo ?

C’est une histoire qui aura fait couler beaucoup d’encre. Le 13 octobre dernier, Microsoft a enfin conclu le rachat du groupe Activision/Blizzard après l’accord de la Competition and Markets Authority (CMA), l’autorité de la concurrence britannique. Une opération à plus de 69 milliards de dollars, qui a propulsé Microsoft à la troisième place des plus grandes entreprises de jeux vidéo du monde, derrière le géant chinois Tencent et le japonais Sony.

La plus grosse acquisition dans le milieu du jeu vidéo a permis à la firme américaine d’ajouter à son portefeuille une dizaine de studios de développement, ainsi que certaines des licences les plus populaires au monde telles que Call of duty, World of Warcraft ou encore Overwatch. Un coup de maître qui n’aurait cependant pas été possible sans un acteur français, bien connu des amateurs de gaming : Ubisoft.

Annoncé il y a plus d'un an déjà, le rachat d'Activision/Blizzard par Microsoft marque le dénouement d'une bataille acharnée et prolongée avec le régulateur britannique. Pour rappel, l’autorité britannique avait rendu un verdict défavorable au rachat en avril dernier. Point de friction lors de négociations entre les deux entités : le cloud gaming.

Ubisoft et Microsoft bientôt lié par le cloud gaming

Le cloud gaming ou cloud streaming permet de jouer à des jeux vidéo sur divers appareils (PC, smartphones, tablettes ou téléviseurs) sans que ces derniers effectuent le traitement graphique. La puissance de calcul graphique est alors déléguée à des serveurs distants qui exécutent les jeux et transmettent ensuite l'image aux joueurs. La puissance de l’appareil n’est dès lors plus un frein pour les joueurs, qui peuvent faire tourner les jeux les plus gourmands en ressources de ces dernières années. Pour en profiter, il faut essentiellement disposer d'une bonne connexion internet.

Aujourd’hui, il existe plusieurs acteurs sur le marché du cloud gaming. Le plus important est, sans surprise, XBOX, filiale de Microsoft, avec son fameux et très populaire Game Pass. Plusieurs autres services viennent compléter l’offre, notamment Nvidia avec GeForce Now ou encore Sony avec son PlayStation Plus Premium. À noter aussi, la présence d’un autre acteur français sur le marché, Shadow.

Un rachat compliqué

C’est dans ce contexte que la CMA expliquait qu’à l’époque, elle avait empêché le rachat « par crainte que l’opération n’altère l’avenir d’un marché des jeux dans le Cloud en croissance rapide, et qu’elle n’entraîne une réduction de l’innovation et du choix pour les joueurs britanniques dans les années à venir ». Au-delà de l'étendue du catalogue de Microsoft, c’était surtout la position dominante de l'entreprise dans le secteur du Cloud Gaming qui avait suscité l'attention des acteurs britanniques. Microsoft représentait alors environ 60 % à 70 % des services mondiaux de jeux dématérialisés.

Alors, pour avoir le feu vert du régulateur de la concurrence britannique, Microsoft a dû faire quelques concessions. Le géant américain a essentiellement dû céder les droits du cloud streaming des jeux Activision-Blizzard pour les 15 prochaines années à l’entreprise française Ubisoft, hormis pour l’espace économique européen.

« Quand ça va décoller, ça arrivera très vite »

L'histoire d’amour entre Ubisoft et le cloud gaming ne date pas d’hier. Dès 2019, l’éditeur français avait annoncé à l’E3, la plus grande conférence de jeu vidéo au monde, un partenariat avec Google, pour la mise à disposition de nombreux jeux estampillés Ubisoft sur Stadia, le service de jeu en streaming du géant du web.

Mais le service de jeu en streaming Stadia, n’a pas été un véritable succès. Faute d’utilisateurs, Google avait annoncé mettre fin à sa plate-forme en janvier 2023. Pas de quoi décourager Yves Guillemot le PDG d’Ubisoft, qui attend le “moment netflix” du cloud streaming. « Quand Netflix a annoncé qu’ils allaient se lancer dans le streaming, leur action a chuté et ils ont été très critiqués », rappelle-t-il dans une interview au Financial Times. Le dirigeant partage son regard optimiste sur l'évolution du secteur du jeu vidéo en streaming, en le comparant à la trajectoire réussie de Netflix. « Aujourd’hui, on voit bien ce que Netflix est devenu » souligne-t-il.

Chez Ubisoft, on croit dur comme fer au cloud gaming, même si on s’accorde tout de même le bénéfice du temps. Yves Guillemot, en continuant son analogue sur Netflix, explique dans le Financial Times que le marché du streaming vidéo et celui du jeu vidéo ont des trajectoires intimement liées : « Ça va être la même chose pour le jeu vidéo, mais cela va prendre du temps. Quand ça va décoller, ça arrivera très vite ». D'après lui, on peut prévoir une transition majeure dans l'industrie du jeu vidéo au cours des 5 à 10 prochaines années, où une grande majorité des jeux sera accessible via le streaming.

Grâce à l’élargissement de sa ludothèque, avec l'acquisition des droits de cloud gaming des jeux du groupe Activision/Blizzard, Ubisoft espère se positionner en une sorte de “leader” d’un marché nouveau et surtout en pleine expansion.

Le cloud gaming, un marché d’avenir prêt à décoller

Même si pour l'instant le marché du cloud gaming végète, il pourrait prendre beaucoup plus d’importance dans les années à venir. Selon le cabinet spécialisé Newzoo, le marché du cloud gaming pourrait atteindre 8,17 milliards de dollars en 2025, soit un montant plus que triplé par rapport à son chiffre d'affaires de 2022, équivalent à un peu plus 2,3 milliards de dollars. Même constat pour ce qui est des joueurs. Avec aujourd’hui plus de 30 millions d’utilisateurs, le cloud gaming pourrait passer la barre des 86 millions dès 2025, toujours selon Newzoo. Des chiffres qui restent toutefois loin des 170 milliards de dollars et du 1,8 milliard de joueurs que pèse l’industrie du jeu vidéo au total.

Un marché donc en pleine expansion, qui risque aussi de bénéficier de l'explosion des prix des composants électroniques. Par exemple, l’augmentation rapide prix de la RAM, qu’il s’agisse de la DDR4 ou bien de la DDR5, se situerait entre 3% et 8% du prix actuel selon le cabinet taïwanais TrendForce, faute d’une production suffisante de semi-conducteurs. Autre exemple, le prix d'un ordinateur portable a augmenté de 18% en un an, selon une étude réalisée par 60 millions de consommateurs pour la rentrée 2023.

Du côté des consoles, Sony et XBOX ont eux aussi annoncé des hausses de prix. En Europe, la PS5 est ainsi passée de 500 à 550 euros, quant à la Xbox series X, elle devrait aussi voir son prix se stabiliser autour de 550 euros. « L’environnement économique mondial est un défi que beaucoup d’entre vous connaissent sans doute dans le monde entier » a commenté le géant japonais Sony.

Quoi qu’il en soit, la conjoncture économique actuelle, et l’inflation pourraient faire le jeu du cloud gaming, qui reste dans la plupart des cas beaucoup moins cher. Nombreux seraient les joueurs à se tourner vers lui, plutôt que vers l’achat de PC voire de consoles de salon.

Des endroits privilégiés

Un marché qui est en pleine croissance en termes de joueurs, mais aussi en pleine extension territoriale. L’éditeur français espère pouvoir s’ouvrir au marché des pays en développement. L’Afrique ou encore certains pays d’Asie, sont vus par beaucoup de spécialistes et de grands studios comme des terres prometteuses pour l’avenir du jeu vidéo. Et si le décollage du cloud gaming avait lieu dans les pays en développement ? C’est ce qu’espère Ubisoft. « Les pays qui ont besoin de progresser très rapidement se tournent souvent vers les nouvelles technologies, et abandonnent les anciennes méthodes des anciens systèmes » explique le patron d’Ubisoft, rappelant au passage l'adoption éclair du paiement mobile en Afrique. « Ces régions passeront plus rapidement que d’autres au streaming et au cloud », ajoute-t-il.

Finalement, la stratégie d’Ubisoft est de se tenir en embuscade du fameux “moment Netflix” du cloud gaming, en ayant sous la main un catalogue impressionnant de titres, faisant de l’entreprise un incontournable de ce nouveau marché. Quand la recette prendra auprès des joueurs, Ubisoft sera là. Marché d’avenir ou simple impasse vidéoludique, ce qui est sûr, c’est qu’Ubisoft n’a pas encore fini sa partie avec le cloud gaming.

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